Nicolas Momein, Cul-de-sac
Le FRAC Corsica, établissement culturel de la Collectivité de Corse, est heureux d’accueillir en partenariat avec la Ville de Bastia, l’œuvre de Nicolas Momein, Cul-de-sac (2019).
Nicolas Momein développe principalement des projets de sculptures, où le processus de fabrication tient une place centrale et devient une part visible dans ses réalisations. Son intérêt pour les matériaux et objets manufacturés sommaires, familiers, parfois grossiers, m’a conduit assez naturellement à penser les conditions de leurs propres élaborations, relevant des connaissances d’artisans, d’ouvriers, d’agriculteurs, etc. L’idée est de se positionner au plus proche, au contact de ces gestes de travail, de s’en imprégner, d’enregistrer les actes qui façonnent et transforment la matière en produits. Ce projet a l’ambition d’étoffer un réseau hétérogène de connaissances en allant chercher des individus pour leur demander une part de leurs acquis. Des savoirs qu’il va chercher sur le terrain, là où les opérations et les phénomènes sont observés. Autour des notions de transmission, de porosité face aux connaissances, ce sont les questions du partage des savoirs, de l’échange des services et de l’amateurisme dans la pratique d’un métier qui l’intéressent. C’est à la fois un modèle qui se développe dans la société (avec des sites d’échanges de services, des communautés d’entraide, etc.) et qui tend à se développer dans l’art, contribuant à destituer la figure de l’artiste comme spécialiste d’un savoir. Il ne s’agit pas de vouloir tout envisager, mais d’appréhender le vocabulaire basique de différents métiers, le germe, les premiers gestes. Par ce biais du rapprochement vers le monde de l’entreprise, il a déjà eu l’occasion d’opérer divers travaux collaboratifs, avec des TPE, mais aussi PME, ou entreprises individuelles, proches des lieux de résidence, d’exposition, ou d’atelier. À l’intérieur de ces organisations, c’est un travail d’éditions spéciales, des sortes de hors-série du produit manufacturé original que le travailleur et Nicolas Momein mettent en place, des séries d’objets jouant avec les spécificités de chaque organisation et système. Il ne s’agit pas de passer commande, mais plutôt de réfléchir de l’intérieur aux différents possibles que ces rencontres peuvent générer grâce aux échanges et aux dialogues. Faire bouger la mécanique initiale d’une entreprise en quelque sorte, insérer un petit déraillement qui peut se traduire par un protocole, mais aussi par une simple observation discrète, ou encore par un léger prélèvement.
Entretien de Nicolas Momein et de Fabien Danesi
F.D. - D’où vient ce camion que tu as décidé de transformer en exposition itinérante ?
N.M. - J'ai acheté et transformé ce camion à la suite d'une proposition qui m'avait été faite par la galerie Ceysson & Bénétière de présenter une sculpture pour les hors les murs de la FIAC en 2019. Une première version avait été réalisée en 2012 à Genève avec un camion qui m'appartenait. Je venais d'être diplômé des beaux-arts de Genève. Les questions liées à l'autonomie m'intéressaient beaucoup à ce moment-là. L’idée de manifestation temporaire d’un lieu absent, un espace d’exposition autonome (création d’un lieu d’auto-monstration parqué dans l’espace public). Le camion a des caractéristiques se rapprochant de celles d’une petite architecture ou d'un édicule : aspect extérieur, taille, capacité volumétrique. Le volume réalisé à l’intérieur de celui-ci parasite l’espace par accumulation de laine de roche en suivant les lignes de force du véhicule. En utilisant l’espace qui me servait de stockage, de transport ou même éventuellement d’abri temporaire, j'ai construit, à l’aide d’un corps de métier compétent, une sculpture à base d’un matériau d’isolation. Il s’agissait de remplir le volume du camion, par projection de matière, autour d’un vide nécessaire laissé par le corps construisant. Le résultat est une pièce hybride, tout à la fois un contenant définissant un espace potentiel, potentiellement pénétrable, un espace d’exposition autonome, une surface à texture organique, un all over monochrome et une sculpture environnementale. Je voulais aussi que la sculpture intègre toutes les contraintes inhérentes à la logistique d'une œuvre. Les préoccupations pratiques telles que le transport, l'emballage, le stockage, la livraison.
F.D. - Qu’est-ce qui t’intéresse dans le matériau employé, la laine de roche ?
N.M. - Ce matériau et cette technique sont normalement utilisés pour l'isolation des bâtiments. Nous en voyons rarement dans les constructions à l'état brut car il est souvent recouvert par d’autres matériaux mais il est visible dans de nombreux lieux de production comme les usines, les ateliers et les écoles. Ces qualités, d'isolant, sa légèreté, sa fragilité et sa mise en œuvre rapide qui se fait par projection m'intéressent particulièrement.
F.D. - Ton travail a une dimension à la fois formelle et matérialiste. En cela, tu t’inscris dans une grande tradition de l’abstraction et de la modernité. Quelles sont tes références ?
N.M. - Peut-être plus de postmodernité. J’ai beaucoup regardé les artistes du mouvement italien arte povera pour leurs refus de l'identification en s'efforçant de se soustraire à la dépendance du style. Je pense en particulier à certaines œuvres de Piero Manzoni avec ses achromes et Mario Merz pour ses igloos. Absalon m'a également beaucoup marqué en interrogeant notre rapport au corps, au déplacement et à l'intimité. Sol LeWitt pour son travail conceptuel et la définition qu'il en fait.
Présentée dans le cadre de la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) au Grand Palais à Paris, cette proposition consiste en un vieux camion qui a été restauré pour aller à la rencontre des passants. L’intérieur de ce véhicule a été aménagé avec de la laine de roche, peinte avec de la bombe de chantier en rouge/orange, ce qui contraste fortement avec le bleu de la carrosserie. Cette laine de roche donne une apparence aussi bien moelleuse que minérale. Elle procure une certaine étrangeté visuelle qui est accentuée la nuit grâce à un éclairage interne. Cette approche pleinement picturale cherche à susciter une émotion ambivalente, entre attraction et répulsion. Le spectateur peut avoir envie de se lover dans cette grotte artificielle, mais il peut aussi avoir un sentiment d’inconfort. Ainsi, l’œuvre est assez emblématique du regard que le grand public peut avoir sur l’art contemporain. Avec cette pièce itinérante, Nicolas Momein cherche ainsi à sortir l’art de son milieu strictement professionnel. Il prend la route pour inviter les citoyens à venir découvrir cet objet atypique.