décentralisation 3
Jacques Villeglé
Cela fait cinquante ans maintenant que Jacques Villeglé a choisi son geste, son expression : cinquante ans d’exploration dans une pratique toujours vive et qui n’en appartient pas moins à l’histoire de l’art du XXème siècle, au travers du groupe des Nouveaux Réalistes coordonnés par Pierre Restany en 1960, au côté des Arman, des Hains, des Tinguely : un geste de collecteur qui choisit et prélève sur les murs des villes les affiches accumulées et lacérées, fragments d’images et de signes du temps. Cette appropriation de fragments de réel touche à la fois à la peinture abstraite et à la poésie lettriste ; elle tend un miroir à la manière dont la société construit sa propre représentation et comment le « lacérateur anonyme » vient marquer sa réaction sur la peau des murs au monde qui l’entoure. L’artiste est simplement celui qui prélève ces fragments de réalité en cadrant des détails significatifs et en transformant en tableau ces moments bruts, témoignant ainsi de l’histoire contemporaine.
Aujourd’hui de réputation internationale et représenté dans les plus grands musées européens et américains, Jacques Villeglé porte la même attention au monde qui l’entoure, en s’intéressant et en regroupant par série ses prélèvements d’affiches politiques, publicitaires ou encore à celles des concerts de musique électronique. Villeglé est toujours un infatigable arpenteur sensible à toutes les rencontres signifiantes que produit le geste de l’arrachage. Il est d’un inlassable enthousiasme pour partir à la recherche de ces richesses de la culture du quotidien : aussi, quand il a vu des photographies des colonnes d’affichage prises à Bastia par Anne Deleporte, une artiste invitée par le FRAC pour un autre projet, il était prêt à venir faire son travail de prélèvement (de « décroûtage » dit-il) et de préparation de tableau en Corse, sûr de trouver dans cette mémoire par la peau des murs, des signes marquants de la réalité corse.